Colloque Paysage « Nouveau climat nouveaux paysages » 2022
Cinquième édition des journées régionales du paysage organisées par la DREAL Normandie, l’édition du 20 octobre 2022 a de nouveau porté, comme en 2021, sur le changement climatique et ses effets sur les paysages. En effet, ce thème, encore plus d’actualité, recèle de nombreux sujets de réflexions et d’actions.
Introduction
Sandrine Pivard, directrice adjointe à la DREAL, a accueilli les participants et ouvert la 5e édition du colloque annuel de la DREAL consacré aux paysages.
Elle a rappelé tout l’intérêt du réseau « Paysage » régional pour partager les expériences menées localement et favoriser ainsi les enrichissements mutuels.
Elle a précisé l’importance des enjeux des changements climatiques et leurs effets sur les paysages, ce pourquoi le colloque a porté une deuxième fois sur ce thème.
Confirmant ce grand intérêt porté au paysage et à ses transformations liées aux changements climatiques, plus de 80 personnes ont participé à cette journée, lors de laquelle les échanges ont été très fructueux.
Peut-on prévoir de quelle façon le paysage va évoluer, comment anticiper ? Telles sont les questions, ainsi que toutes celles qui se posent à chacun d’entre nous, que la DREAL a proposé d’aborder. En effet, si ce sujet doit nous préoccuper, et de nombreux événements récents en révèlent l’urgence, il existe des solutions. C’est sous cet angle positif qu’a été placé ce colloque.
Les effets attendus du changement climatique sur les paysages normands
Pour poser les bases des réflexions de la journée, Olivier Cantat, enseignant-chercheur à l’université de Caen Normandie, membre du GIEC normand a présenté les effets attendus du changement climatique sur les paysages normands.
Quels regards sur les effets du changement climatique ?
En compléments aux constats scientifiques, Jean Richer, architecte-urbaniste de l’État et co-animateur de la journée, a proposé des éléments réflexions sur nos perceptions des paysages et du changement climatique.
Les paysages se modifient sous l’effet des changements environnementaux et économiques à l’œuvre. Le constat se veut objectif, mais percevons-nous vraiment ces transformations ? Car tout est une question de regard porté sur le paysage, autrement dit de perception.
L’enjeu est tout d’abord celui d’une culture et d’une écologie du regard, puis au-delà, d’une nouvelle définition du projet de paysage, non plus directement orienté vers l’action, mais vers la possibilité d’un débat collectif, un forum, ce que le présent colloque préfigure à sa manière.
Quelques références pour enrichir nos réflexions :
- Le sociologue danois, Nikolaj Schultz, qualifie poétiquement de « Mal de Terre », pour « caractériser ce double bouleversement, celui de l’humain et celui de la Terre qui tremblent simultanément ».
- Le philosophe australien Glenn Albrecht parle de « solastalgie” pour désigner un sentiment de désolation causé par la dévastation et l’expulsion de notre habitat : une forme de « mal du pays que vous éprouvez alors que vous êtes toujours chez vous ».
- Le philosophe Bruno Latour a forgé un concept plus résilient, celui de « géopathie » pour désigner une manière d’être en empathie avec la géographie et de se rendre sensible aux nouvelles connaissances de l’écosystème, mais ainsi de risquer de ressentir les relations pathologiques que nous entretenons avec la terre.
Il nous faut nous mettre dans la position de découvreurs. La question essentielle est de pouvoir croire ce que nous voyons en posant un regard lucide sur les paysages, afin de comprendre les changements sous nos yeux.
- Le philosophe Baptiste Morizot estime que les crises environnementales successives ont paradoxalement engendré une intensification du « concernement » pour ces milieux « qui ne peuvent plus être considérés comme un décor ». Le concernement est un mot bien étrange utilisé régulièrement en matière de climat au Québec et qui vient du psychiatre Henri Grivois pour désigner un phénomène naturel qui fait que lorsqu’une personne arrive dans notre environnement, même sans qu’on le perçoive consciemment, nous sommes concernés par sa présence.
Nous croyons voir, mais nous sommes en réalité prisonniers de nos représentations culturelles, touristiques, etc. D’une vision pittoresque à l’idéal de la nature comme bien commun, la représentation culturelle que nous avons des paysages - perception par les populations et construction de représentations collectives des sites -souffre aujourd’hui d’une remise en question par les approches environnementalistes d’une part, et par la banalisation des paysages du quotidien d’autre part. Comment lever le voile d’un regard formaté ? D’autant que les changements qui ont lieu sous nos yeux sont très rapides, peut-être plus rapides que notre faculté de reconnaissance. Certaines choses vont disparaître du paysage et d’autres sont en train d’apparaître. C’est très important de pouvoir observer et accueillir ce qui est nouveau dans le paysage, loin de toute attitude nostalgique. Le partage du regard sur le paysage peut constituer un forum à partir duquel il est possible d’énoncer un projet collectif.
Les incidences du changement climatique sur nos paysages - Contribution de l’observatoire photographique des paysages de la Vallée de Seine
Le collectif constitué par Aurélie Lasnier, chargée de mission Paysage au Parc naturel régional des Boucles de Seine Normande, Jean-Christophe Goulier, Architecte-Paysagiste au CAUE de la Seine-Maritime, Colin Drouin paysagiste concepteur - conseil au CAUE de l’Eure et Stéphane Lemonnier, chargé d’études gestion des milieux aquatiques et inondations au syndicat mixte de gestion de la Seine Normande a présenté l’outil qu’est l’observatoire photographique des paysages (OPP) sur la vallée de la Seine, et comment il pouvait révéler les incidences du changement climatique sur nos paysages.
Travaux d’études issus de l’atelier pédagogique de l’ENSP « Rouen- Le Havre » illustrant les possibilités d’anticiper et d’adapter les projets de paysage au changement climatique
Deux jeunes professionnelles paysagistes conceptrices DE : Mathilde Baranez (agence de paysage Chora) et Manon Vandenbussche ont présenté les travaux issus de l’atelier pédagogique de l’ENSP « Rouen- Le Havre » datant de 2020-2021, pour illustrer les possibilités d’anticiper et d’adapter les projets de paysage au changement climatique.
Vidéo - Deux exemples dans la vallée de la Seine : la nouvelle confluence de la Seine et du Rançon et les évolutions du pays de Caux autour de Yvetot
Le végétal pour profession, la Normandie pour paysage
A partir de l’exemple de l’aménagement pour l’accueil de compétitions équestres dans le site classé du domaine du haras du Pin, Anne Chevillon (architecte des bâtiments de France, cheffe de l’UDAP de l’Orne), Benoit Dumouchel (architecte-paysagiste, entreprise ZENOBIA, vice président de la FFP Normandie), Didier Anquetil (producteur, entreprise Pépinière et Paysage d’Elle, président d’ASTREDHOR Seine-Manche) et Olivier Fouché (conseiller paysage, ASTREDHOR) ont présenté les enjeux patrimoniaux et paysagers de ces lieux et du projet, détaillant l’importance du choix des végétaux, et ainsi leurs modalités productions.
Les marais de la Dives
Les enjeux des marais de la Dives au regard de l’ampleur des évolutions prévisibles dues au changement climatique et des démarches exemplaires d’ateliers pour rassembler les multiples acteurs du territoire ont été présentés par Jean-Christophe Nani (paysagiste conseil de la DDTM), Sophie Giacomazzi (cheffe de service Eau et Biodiversité) et Patrice Germain (maire de Basseneville).
Synthèses des échanges et conclusions
De ce colloque riche en échanges, plusieurs constats émergent :
- Le changement climatique va soulever la problématique des échelles d’intervention. En effet avec des micro-climats futurs à l’échelle sub-régionale souvent très contrastés en termes de pluviométrie et de chaleur, nos échelles d’intervention classiques (SCoT, PLUI, parcs naturels régionaux, etc.) vont s’en trouver décalées par rapport à une réalité plus mouvante. La nature même des interventions d’un territoire à l’autre va s’en trouver également bouleversée. Les recettes applicables sur tel territoire ne le seront pas sur tel autre, pourtant voisin. Il faudra concevoir des politiques sur mesure. Les paysages seront, comme résultantes de l’adaptation des politiques publiques à ces variations de climat, fortement impactés.
- La question de la variation des échelles pose celle de la gouvernance : qui est légitime ? Comment s’adapter au mieux à ces nouveaux climats sub-régionaux ? et avec quels moyens ?
- La solution, en matière végétale ne passe pas forcément par l’importation ou l’adaptation des espèces exotiques. L’adaptation et la résilience des espèces autochtones est certainement l’un des axes les plus prometteurs, conciliant le maintien des paysages existants avec la résilience en matière de biodiversité. Aider les écosystèmes existants à s’adapter est certainement l’une des voies les plus prometteuses.
- Au-delà des changements prévisibles sur l’agriculture et le couvert végétal dans son ensemble, ce sont également les "modes d’habiter " qui vont être impactés, du littoral jusqu’au cœur même des villes. Comment pourraient évoluer les pratiques en matière d’urbanisme et de construction pour permettre les expérimentations nécessaires ?
- Le changement climatique va impliquer un changement de méthode dans l’élaboration des projets d’aménagement : la prospective y compris en matière paysagère sera indispensable pour anticiper les changements inévitables et faire adhérer les citoyens aux solutions adaptatives proposées. Dans ce cadre, les compétences en matière de prospective paysagère vont être déterminantes dans la conception amont des projets d’aménagement. Le paysage comme point de départ et d’aboutissement de la démarche d’aménagement et de planification se pratique déjà dans des démarches telles que les plans de paysage, elle mériterait d’être systématisée.